Jules Allard, capitaine de gendarmerie à Angers, est mobilisé le premier jour de la guerre. Il tiendra son journal pendant ses deux premières années à l'arrière front, de 1914 à 1916. Il mourra en 1918 et remplira jusqu'à la fin des documents destinés à sa hiérarchie. Mais il cessera d'écrire ce journal. Trop de fatigue, de nuits sans sommeil, trop d'horreur et de terreur, de deuils sans doute. Pourtant, Jules Allard ne s'épanche guère dans ces deux petits carnets qu'il conserve toujours sur lui, il n'invoque ni Dieu ni la patrie. Il décrit, jour après jour, la guerre, les grandes batailles comme celle de la Marne et à l'arrière, les pillages, les jugements, les arrestations et exécutions de ceux qui désertent ou se rebellent, se souvient parfois de l'amitié des habitants. Pour ce pouvoir disciplinaire de punir les fuyards et les insoumis, les gendarmes furent l'objet d'un ressentiment tenace en même temps que d'un véritable silence. "Seule l'histoire, faite aujourd'hui, sans préjugés ni tabous, au ras de l'ordinaire des choses, permettra non une réconciliation, mais de construire des gués pour aller d'une rive à l'autre d'une guerre sans nom, parce que terrifiante et abusive." (Arlette Farge)